Interview de Stéphane Delahaye pour le journal "Sega"

6 histoires de Stéphane Delahaye

Avec Jacques Séguéla

J’habite en Bulgarie depuis l’an 2000. Je suis venu principalement parce que ma femme est bulgare mais aussi parce qu’a ce moment je travaillais avec Jacques Séguéla, qui menait la campagne du Tsar Siméon pour devenir Premier ministre.

Avant d'arriver en Bulgarie j’ai vécu à Londres. Je connaissais la diaspora bulgare là-bas. Quand Jacques Séguéla s’est occupe de la campagne tout a pris sens pour moi et je suis venu en Bulgarie. Le Tsar Siméon a gagné les élections et beaucoup de bulgares qui habitaient à Londres sont revenus pour travailler dans son équipe. Séguéla connaissait la Bulgarie depuis la campagne du président Jeliou Jelev au début des années 90. Mais tout avait commencé bien avant.

 

Séguéla avait travaillé avec le président François Mitterrand qui était venu en Bulgarie au début de 1989 et qui a fait le célèbre petit déjeuner à l'ambassade française à Sofia avec des dissidents bulgares. Jeliou Jelev y participait aussi.

Quand Jeliou Jelev a lancé sa campagne pour les élections présidentielles, François Mitterrand a envoyé Jacques Séguéla pour l'aider. A cette époque il n'y avait pas, en Bulgarie, de spécialistes ayant une expérience sur la scène internationale des relations publiques et Séguéla a montré quelques techniques créatives. Il a pris le fil de fer barbelé, il l’a plié dans la forme de la carte de la Bulgarie et il a crée le slogan « 45 anssuffisent ». C’était un message issu des règles de la communication et de la publicité politique. Pour la même campagne, il a inventé le slogan « Le temps est à nous » ! Ce qui est intéressant, c’est qu’il est venu de la gauche mais il a aidé la droite bulgare. Mais il a été considéré comme mitterrandiste.

Dans la première campagne présidentielle de Francois Mitterrand contre Valéry Giscard d'Estaing en 1981 il représentait un outsider. Séguéla a inventé le slogan « La force tranquille » avec une photo de Mitterrand sur le fond d'un village français typique. De cette image est restée l'énergie de la «force tranquille» comme opposition à Giscard, qui était beaucoup plus glamour. Dans la campagne de 1987 contre Jacques Chirac le slogan était «la génération Mitterrand » avec pour fond un bébé (l’une des jumelles de Jacques Séguéla) qui tient la main d’un homme.

 

Je pense que Mitterrand a choisi d’aider les nouvelles forces démocratiques  bulgares et en particulier le président Jelev, qui plus tard a ajouté la Bulgarie dans l'Organisation internationale de la francophonie.

Aujourd’hui, et malgré qu’il ait plus de 80 ans, Jacques Séguéla continue de travailler dans son bureau à l'agence Havas. Il travaille de la même manière depuis le début de sa carrière à Paris. Il a de nombreuses campagnes présidentielles pour la gauche mais aussi pour la droite. Il est plutôt relié a lа gauche. Avec Mitterrand il a connu le succès, mais on ne peut pas en dire autant au sujet de ses campagnes pour Lionel Jospin. Au contraire, il a aidé la droite et Nicolas Sarkozy au début de sa présidence. C’est lui qui a présenté Nicolas Sarkozy à Carla Bruni qui est devenu plus tard Carla Bruni Sarkozy.

 

Pourquoi «je ne travaille pas»

Je suis né à Paris et je suis diplômé de l'Institut supérieur de gestion (ISG), qui est une école superieur de commerce. J’ai aussitôt commencé à travailler dans le domaine de la publicité et jusqu’a maintenant je n'ai pas arrêté. Et cela me plait d’autant plus que j’ai l’impression de ne pas travailler. Pour moi, c’est un hobby, un  plaisir, et non une routine. Selon les clients je peux rentrer dans la logique des différentes professions. Si j'ai une commande d’un industriel je dois devenir un industriel, si c’est un banquier - je dois me placer dans la position d’un spécialiste du secteur bancaire. Si vous ne pouvez pas être professionnel dans les yeux du client pour lequel vous travaillez, vous ne pourrais pas lui apporter de la valeur ajoutée et vous devenez inutile. Comme je suis curieux, j'essaie de rentrer dans tout qui me passionne. Mes clients sont très différents et il me plait de rencontrer des représentants issus de toutes sortes de professions. Habituellement, ils sont très intelligents et c’est un véritable défi pour leur offrir une valeur ajoutée, afin qu'ils aient un intérêt à travailler avec moi - c’est un défi quotidien.

 

En Bulgarie, l'espace publicitaire est large, parce que c’est un marché pour 7 millions d'utilisateurs. Il existe de nombreuses marques bulgares et étrangères qui viennent de comprendre l'importance du marketing pour atteindre les clients. Il y a un marché publicitaire de 300 millions d'euros par an.

Je suis président de la Chambre de Commerce et d'Industrie France Bulgarie depuis quatre ans et je fais mon second mandat. Je porte deux chapeaux. En tant que président de la Chambre, qui compte plus de 200 membres - entreprises françaises et bulgares, je travaille sur la base du volontariat. Ce poste n’est pas payé, il est honorifique. Par ailleurs, je représente la société Havas pour la Bulgarie et pour la région des Balkans - principalement la Macédoine, l'Albanie et le Kosovo. Je me sens comme un Bulgare, parce que depuis 15 ans je voyage avec les délégations bulgares pour des réunions à Paris, où je tente de convaincre les Français d'investir en Bulgarie. Mais aussi,  je conseille des entreprises bulgares pour pénétrer le marché français.

 

Les 800 jours de Siméon

J’ai rencontré le Tsar Siméon en Bulgarie, mais j’ai connu son fils, Cyril, à Londres, quand il travaillait dans la finance. Je connaissais aussi les membres du City Club bulgare à Londres. Ilya Lingorski était son président, et plus tard il est devenu vice-ministre. Beaucoup de membres du club sont revenus en Bulgaries et sont devenus des ministres au sein du gouvernement de Siméon Sakskoburggotski. Siméon était un phénomène rare – un monarque qui avait décidé de participer aux élections pour devenir le premier ministre de la république. De toutes mes conversations avec lui, je n’ai jamais remarqué le désir de restaurer la monarchie en Bulgarie. C’était un roi - citoyen. La période était très intéressante pour moi et le roi m’a fait une forte impression. Les époques ne peuvent être comparées, mais à cette époque, beaucoup de bonnes choses ont été faites pour les Bulgares. Il y avait de l'enthousiasme et de l’espoir. La Bulgarie a intégré l'UE et on sentait plus de foi en l'avenir. Les bulgares ont voté pour Siméon en pensant à l’avenir, et non au passé, représenté par la monarchie.

 

Cette période à vu naitre le plan des -800 jours-. Habituellement en Bulgarie les électeurs s’expriment par un vote de sanction. Il était nécessaire de convaincre les gens de voter "pour" et non "contre". Mais les gens étaient impatients et ils voulaient des changements rapides. Les 800 jours ca n’étaient pas tant pour faire des réformes profondes mais plutôt  pour faire sentir le vent du changement. Ce moment était très intéressant. Maintenant je ne vois plus le roi. Il voyage beaucoup. Il ne fait plus appel à nos services.

 

Ici, c’est mieux
J'ai beaucoup voyagé et j'ai vécu principalement à Paris, Genève, Londres et Sofia. Je suis à Sofia depuis 15 ans et ma femme et mes enfants sont Bulgares.

Je continue à voyager et je compare les différentes conditions de vie. Prenons l'exemple de l'Albanie -  il n’existe pas de cohabitation sans mariage. Quand on est jeune, on doit se marier, puis on acheter une maison et élever ses enfants. En Grèce et en Italie vivent beaucoup d’Albanais. Tous envoient beaucoup d’argent dans leur pays. Dans ce type de société, il n'y a pas de sentiment de malheur. Parmi la population, on sent la volonté d’avancer vers un meilleur avenir. C’est normal quand vous avez des enfants de penser à l'avenir. On peut sentir l'enthousiasme malgré les difficultés économiques. En Bulgarie, au contraire, on assiste au pire via la crise démographique. Il n’y a rien de pire qu’une courbe démographique décroissante. D’après les prévisions, en 2050, il restera seulement 5 millions de Bulgares en Bulgarie. En effet, la jeunesse, l'élite éduquée, part à la recherche de travail en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en France et ailleurs.

 

J'ai un fils né d'un mariage précédent - Il a 28 ans. Mon épouse a également un fils issu d’un précédent mariage. Je m’occupe donc de trois fils et une fille en Bulgarie. Le plus grand, Benjamin, est né à Paris, mais il parle parfaitement le bulgare. Adolescent, il est venu avec moi en Bulgarie et il est resté. Puis il a étudié pendant plusieurs années à Sheffield, mais il est revenu. Selon lui la Bulgarie est le meilleur pays au monde. Il est jeune et travaille dans une entreprise qui démarre sur le marché bulgare - Food Panda, qui est une grande entreprise internationale basée en Allemagne. Elle procure la nourriture commandée en ligne. En Bulgarie elle est en concurrence avec BG menu. Si vous travaillez à Londres, vous allez recevoir beaucoup plus d'argent qu'en Bulgarie, mais avec cet argent vous auriez des conditions de vie pires que celle à Sofia. Si par exemple vous obtenez 10 à Londres, et 1 à Sofia, vous allez vivre mieux à Sofia avec 1 qu’à Londres avec 10. De plus, vivre à Londres avec toutes les communautés d'immigrants en provenance d'Asie et d'Afrique, les Bulgares sont perdus. Leur vie en Bulgarie est de plus grande qualité.

 

Le paradoxe bulgare

 

J’observe le paradoxe suivant : beaucoup d'étrangers aiment la Bulgarie, tandis que les Bulgares ont tendance à la quitter. Comme s’ils avaient perdu la fierté d’être Bulgares – ce sont des gens qui méritent d'être fiers non pas avec de gros muscles mais au niveau intellectuel. C’est dommage, parce que la Bulgarie a tout pour être attractive. Mais elle se stigmatise. Je n’ai pas rencontré, en Bulgarie, un seul investisseur français qui soit malheureux. Mais pour la plupart, ils travaillent avec beaucoup de stress, car ils sont confrontés à des problèmes annexes. Je vous donne comme exemple, le plus grand investisseur français Montupet ; fabricant de pièces pour moteurs de voitures - pour Audi, Volkswagen, Peugeot, Citroën, Renault, BMW, Nissan et d'autres marques. En Bulgarie il y a environ 1000 travailleurs, l'usine est très moderne. Jusqu'à présent, il a investi 240 millions de leva et encore 80 millions de leva sont prévues pour le prochain investissement. Il semble que tout se passe bien, mais le principal problème réside dans la communication et les relations avec l'administration. Le problème n'est pas la corruption, il vient de la méfiance et de la lenteur de l'administration. Au lieu que l'investisseur soit le bienvenu, car il crée des emplois et il améliore les conditions de travail, il est traité beaucoup plus sévèrement que les investisseurs locaux. Les conditions ne sont pas les mêmes pour les entreprises. Cela signifie que pour se conformer aux mêmes règles les investisseurs étrangers doivent faire plus d'efforts. Pour l'investisseur bulgare l’approche est "flexible", et pour l'investisseur étranger très dur. Après que l’ambassadeur français soit intervenu dans le cas "Belvédère" (Le cas Chenalova), les journalistes m’ont demandé à plusieurs reprises qu’est-ce qu’il pourrait se passer si l'ambassadeur de Bulgarie à Paris critiquait de la même manière, le système judiciaire français. Je réponds toujours - si l'ambassadeur bulgare est informé qu'une entreprise bulgare a été mise sous pression déloyale de la part du système judiciaire français, il rendra service à la société française de révéler une telle violation. Parce qu'un pouvoir judiciaire indépendant est le fondement de la démocratie. Le chômeur et le milliardaire doivent avoir confiance dans le système. Les Français remercieraient l'ambassadeur bulgare pour une telle démarche. En France, la justice doit être la même pour le français, le chinois et le bulgare.

 

Pétanque

 

La Chambre de commerce et de l’industrie France Bulgarie organise un tournoi de pétanque au mois de juin. C’est un jeu très populaire, en particulier dans le sud de la France et en Corse. Il y a beaucoup d’amateurs en Bulgarie, qui sont réunis dans la Fédération de pétanque. La fédération nous aide dans l’organisation de notre tournoi pour les membres de la Chambre. Le jeu est facile, il n’exige pas une forme physique, il est accessible à tous les âges. Quand vous voulez rencontrer des amis, vous pouvez simplement jouer à la pétanque. Je pense que tous les Français jouent à la pétanque, c’est ce qui fait son charme. Certains pensent que le jeu des hommes d'affaires est le golf. Mais il exige des connaissances particulières et il faut prendre des cours. Il exige également une certaine force. La pétanque est connue par tous, elle est plus démocratique et sympathique. Le golf vous oblige de prendre cinq heures pour l'ensemble du jeu, pour la pétanque une demi-heure est suffisante.

 

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